La résilience des corps
Clara et Romain forment un couple improbable : il est actuaire, toujours tiré à quatre épingles, rigoureux, solitaire; elle est brouillon, atteinte de schizophrénie, sans emploi. C’est pourtant leur rencontre qui marque le point de départ de ce roman à plusieurs voix : celle de Romain, et celles de Clara, qui souffre d’épisodes de dissociation. Quand la vie la bouscule, quand les chocs sont trop difficiles à encaisser, Clara s’efface au profit d’autres personnalités, pendant quelques jours ou quelques semaines. Elle se réveille souvent à l’hôpital, incapable de se souvenir de ses faits et gestes, entièrement dépendante d’une famille et d’un système souvent infantilisants. Si Romain souhaite de tout cœur fonder une famille, Clara s’y refuse. Quand elle comprend qu’elle est enceinte malgré les précautions prises, elle panique, s’emballe, se rebiffe et fuit. Au fil des pages se développe un jeu de manipulation et de pouvoir, dans lequel le corps de la jeune femme lui est en quelque sorte confisqué, son identité bafouée, au profit de cet enfant dont elle ne veut pas. Entre la folie de Clara, son honnêteté et sa vulnérabilité, et le désespoir de Romain, qui s’accroche à l’idée de la famille comme à une bouée de sauvetage, Marie-Ève Muller dépeint des personnages à vif, chacun pris dans ses contradictions et ses chimères, sans tomber dans un manichéisme primaire.