La peau des zèbres
Deux zèbres, au bord d'un marigot, regardent boire un troupeau de zèbres. "Tout de même, dit l'un à l'autre, il faut convenir que nous sommes des créatures pas comme les autres."
Qui, nous? il y a mille façons de se sentir hors la loi commune. Dont neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ne gênent plus guère : notre société a l'estomac solide. La plus radicale façon de remettre en question la loi commune, la morale, l'ordre social admis, est toujours celle qui s'enracine dans la nuit du corps : l'hétérodoxie sexuelle. Progrès en tolérance assez lents - et qui relèvent de la complicité sournoise ou de ce silence à quoi oblige la peur du mépris.
L'auteur ne se cache pas les risques au-devant desquels il court. Il s'avoue solidaire de ses personnages pour la simple raison qu'il estime déloyal vis-à-vis des autres et de soi-même de ne pas (sous prétexte de respecter la conception que le plus grand nombre se fait de la nature) respecter sa nature.
"Si on se conduit comme ceux d'en face, on est ceux d'en face; au lieu de changer le monde, on ne réussira que le reflet de celui qu'on veut détruire."
Jean Genet, il est vrai, est un professionnel de morale peu recommandable.
Il faut avouer aussi qu'il s'agit là d'une histoire d'amour. Ni belle ni idyllique. Ni apostolat - qui serait à la fois ridicule et déplacé - , ni "petite fleur bleue des enfers" - pour laquelle l'auteur éprouve une vive répulsion.
Non, c'est une histoire d'amour aussi simple et terrible que n'importe quelle autre histoire d'amour. Un peu plus difficile, c'est tout. La conspiration des forces sociales menacent tôt ou tard les amants, et jusque dans leur coeur, par le scrupule et la hantise de la solitude.
Mais, au risque de les aveugler par l'obsession, elle les unit bon gré mal gré dans une passion qu'ils doivent cacher, à laquelle ils tiennent par toutes leurs fibres et dont ils ne veulent plus rougir.
J.-L. B.