La mutilation sacrificielle et l'oreille coupée
“Il est permis de douter que même les plus furieux de ceux qui se sont jamais déchirés et mutilés au milieu des cris et des coups de tambour aient abusé de cette merveilleuse liberté autant que l’a fait Vincent Van Gogh : allant porter l’oreille qu’il venait de trancher précisément dans le lieu qui répugne le plus à la bonne société. Il est admirable qu’il ait ainsi à la fois témoigné d’un amour qui ne tenait compte de rien et en quelque sorte craché à la figure de tous ceux qui gardent de la vie qu’ils ont reçue l’idée élevée, officielle, que l’on connaît.”
À l’origine de ce bref essai rédigé en 1930, un fait divers : au Père-Lachaise, un certain Gaston F., après avoir fixé le soleil, “reçut de ses rayons l’ordre impératif de se trancher un doigt”. Ce qu’il fit, avec les dents. À partir de ce cas, Bataille étudie le geste de Van Gogh se tranchant l’oreille, qu’il éclaire par l’analyse de son œuvre et par la comparaison avec les rituels sacrificiels d’automutilation dans les sociétés primitives. Ce faisant, il élabore une réflexion sur le sens du sacrifice dans nos sociétés modernes, considéré comme l’action qui peut rompre l’homogénéité habituelle de la personne, imposée par la société. Au-delà de la réflexion sur l’œuvre et la vie de Van Gogh, qui préfigure le texte d’Antonin Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société, on retrouve dans cet essai certains des thèmes fondamentaux de l’œuvre de Bataille.
Cette édition reproduit également le compte rendu publié par les Annales médico-psychologiques sur le cas de Gaston F.