La montée des eaux
Ce beau premier roman, élégant et ténébreux, est arrivé par la poste. Tout de suite, nous (Frédéric Mora et moi) avons été conquis par un ton à la fois impersonnel et singulier, sa façon de capter très finement un certain défaitisme ambiant, le climat de « cette période un peu étrange » - la nôtre, mais dont il est question à l’imparfait. Début de l’hiver dans une ville indéterminée. Pluie incessante. Un étudiant d’âge incertain (Thomas, tantôt « je » et tantôt « il ») éprouve les désarrois d’une double disparition : sa mère qui s’est éteinte d’un cancer, et Eléonne avec laquelle il vient d’avoir une liaison d’à peine un mois. Ces deux « drames », anodin ou majeur, alternent et se chevauchent. Mais plus que le thème en soi (l’apprentissage de la perte, du deuil) ce qui séduit d’emblée est une certaine manière de diluer la temporalité, de figer le passé et le présent dans une indifférenciation convaincante, bref : de créer de la mythologie avec du banal. Par-dessus le marché, les amateurs d’éblouissements littéraires seront constamment arrêtés par des pages qui donnent envie de les dire à voix haute : musicalité, couleur, tremblement… La magie tient souvent à peu de chose, l’usage réitéré du participe présent, la persistance des éléments climatiques, les arbres abattus de la tempête de 1999 en écho aux consciences dévastées, une matinée de soleil dans une chambre : et peu à peu il s’en dégage un charme fort.