Fin de défilé
Des coups de feu très proches. Et le vacarme de la foule, et les vivats. J'abandonne mes bidons, je me mets à courir à travers la savane jusqu'à la grand-route "Batista s'est enfui", me disent les filles Pupos devant le portail de la ferme et tous les gens qui arrivent. Alors, tel que je suis, sale et mouillé, je cours avec le groupe vers la ville. Derrière nous, viennent les habitants de Guayacan. Les bicyclettes apparaissent. Une carriole, remplie de femmes, nous suit : elle descend tout doucement la côte. Nous passons par les Cuatro Caminos, et là nous rejoignons le premier groupe de rebelles qui arrive à pied de Velasco, en tirant en l'air aux cris de "Vive Cuba, bordel" et autres. Tu es parmi eux. Je t'appelle en hurlant. Dès que tu me vois, tu abandonnes le groupe. Tu viens en courant jusqu'à moi. Tu me passes le bras autour des épaules. Tu te mets à me parler. Des drapeaux et des drapeaux. Devant, derrière. En haut, en bas : sur les arcs improvisés qui surgissent dans les rues ; sur les poteaux télégraphiques de la première avenue ; accrochés aux buissons de lauriers, aux portes et aux fenêtres de toutes les maisons. Dispersés sur le sol. Attachés à des cordes nouées entre elles, agités par le vent. Des drapeaux. Des milliers de drapeaux placés d'urgence jusque dans les moindres recoins. chiffons rouges et chiffons noirs. » Par ce défilé inaugural, Reinaldo Arenas met en scène la folie et la volonté de puissance d'une foule populaire en liesse dès la victoire de la révolution cubaine, en 1959. Les (més)aventures d'un jeune guérillero idéaliste et enthousiaste, le destin tragique d'une paysanne, la Vieille Rosa, et la métamorphose infernale de Bestial rompent cependant l'euphorie. Ces neuf nouvelles d'inspiration autobiographique restituent magnifiquement, dans un réalisme baroque, le lent dégrisement révolutionnaire.