Des sirènes
Tant de choses à dire après avoir lu Des sirènes ! Mais le mot qui veut absolument être le premier à venir est celui-ci : délicatesse. Ce n'est pas toujours une qualité en littérature, mais il en faut pourtant beaucoup, de la délicatesse, tant pour composer avec les émotions que pour manier les explosifs. Et Colombe Boncenne ne craint ni les uns ni les autres. La sirène est la métaphore filée qui convenait pour nommer aussi la forme de ce livre, semblable à une toile tissée d'échos subtils. Sa nage est un mouvement d'aiguille, dessus, dessous, qui lie, recoud, répare, suture. L'écriture épouse ce mouvement, on plonge dans les abysses, on respire dans le ciel, le naufrage est toujours possible mais l'île n'est jamais loin. Il y a des trous dans cette toile : le père, pas même cité ni mentionné dans cette histoire de filiation où les pères sont si décevants. La cérémonie des adieux, pour reprendre la belle expression de Beauvoir, est au premier plan. La mère de la narratrice va mourir. Cette mort est la douleur présente qui formule dans son cri la souffrance de quatre femmes blessées (par les hommes, inévitablement) qui ont choisi (ou dû choisir) le silence, jusqu'à ce que ce livre peut-être les délivre. Mais Colombe Boncenne murmure encore, elle ne distribue pas des rôles de tragédiennes emphatiques aux femmes de sa famille qui n'en auraient pas voulu. La voix qui lui est venue pour écrire ce livre est très douce, apaisante, comme une consolation possible. Parle tout bas, si c'est d'amour, au bord des tombes, écrivait Paul-Jean Toulet… »
Eric Chevillard