Crime passionnel
La récente remise au jour du Destin de Mr Crump (phébus, 1996) qui avait tant fasciné Freud et Thomas Mann a ramené en pleine lumière l'oeuvre de Ludwig Lewisohn, premier en date des grands romanciers juifs d'Outre-Atlantique - et (avant Nabokov) le dénonciateur le plus radical peut-être de la bonne pensée américaine... et de la bonne pensée tout court. Crime passionnel (1930), qui eut en son temps un succès considérable (Antonin Artaud et Bernard Steele le traduisent dès 1932) est sans doute son roman le plus ambitieux : un texte dont la modernité en tout cas, un large demi-siècle avant passé, laisse sans voix. Pour la première fois en effet, le Sexe majuscule figure comme le grand fauteur de trouble - c'est-à-dire de vérité -, dans un monde où faux libertins et vrais puritains sont renvoyés dos à dos à leurs médiocres désirs : désirs aimantés non par la chair mais par le goût secret du pouvoir. La rage qui habite ce livre est celle que l'on sent déjà à l'oeuvre dans Mr Crump : l'enfer est sur terre, et d'abord derrière les façades proprettes de la respectabilité des familles, de la bonne conscience, de l'amour même. Lewisohn retrace ici, avec une minutie qui comme à son habitude ne nous épargne rien, le destin de quelques couples new-yorkais dans le vent - entre Belle Epoque et Années Folles. On est libéral et pourtant conformiste, émancipé en paroles mais prude tout au fond, et l'on passe, son temps à mentir : aux autres bien sûr, mais d'abord à soi-même. Et l'on ne s'étonne qu'à peine lorsque l'un de ces êtres trahis par l'air du temps, fatigué de tout ce faux-semblant, sort un revolver de sa poche et tue. Non pour punir l'adultère, mais pour permettre à l'amour de parler enfin sans masque.