Chez Mrs Lippincote
Un soir des années 1940, dans la maison mise en location par Mrs Lippincote après le décès de son époux, arrive un ménage composé de Julia et de son mari Roddy, de leur jeune fils Oliver et d’une cousine célibataire, Eleanor. La mère, l’enfant et la cousine viennent de quitter Londres pour rejoindre Roddy dans la petite ville campagnarde où son régiment d’aviateurs est basé depuis quelque temps. Julia est femme au foyer, Eleanor enseignante. L’installation se révèle d’emblée délicate. La maison de Mrs Lippincote, ses meubles et sa vaisselle, ses photographies jaunies résistent. Il est difficile de s’approprier un lieu qui représente les certitudes disparues avec l’éclatement de la guerre, qui symbolise aussi la famille établie, exemplaire (en apparence du moins), modèle dont les nouveaux occupants se sentent bien éloignés. Dans ce cadre se déroule désormais leur quotidien, au rythme des repas, des lectures (hommages aux sœurs Brontë, à Stevenson et à d’autres grands écrivains), des sorties nocturnes, des maladies du garçonnet, des relations sociales des uns et des autres - entourage professionnel de Roddy, collègues et réunions politiques d’Eleanor, amitié entre Oliver le brillant petit rat de bibliothèque et Felicity l’intrépide, visites que reçoit et rend Julia. « Petits riens » qui font les joies et les drames de la vie ordinaire. Mais, durant cette période transitoire, instable, les hypocrisies vont apparaître peu à peu, les masques se fissurer, les tensions latentes s’accumuler jusqu’à l’éclatement final. De ce premier roman d’Elizabeth Taylor, publié en 1945, L.P. Hartley a déclaré que c’était « un livre pour les gourmets, qui se délecteront de son habileté (…) et de ses sous-entendus ». En effet, l’étude des caractères, la subtilité psychologique (complicité entre mère et fils, complexité du lien conjugal…), la mise au jour des sentiments enfouis, des dissimulations et des trahisons inhérentes au couple, aux rapports humains en général, sont frappantes, de même que l’écho entre sphère intime et contexte historique, deux univers pareillement mouvants. Se composent des variations sur le thème de l’infidélité – à soi, aux autres : écart de conduite avéré pour Roddy ; questions d’identité d’Eleanor, tiraillée entre sa loyauté à Roddy (dont elle est secrètement amoureuse) et son (pseudo ?) engagement politique avec ses camarades ; flottements et aspirations ténues de Julia, qui s’offre les seules petites escapades qu’une épouse puisse se permettre, amitiés masculines avec Mr Taylor, qu’elle a connu à Londres, et avec le lieutenant-colonel, supérieur de Roddy ; par contraste, les enfants, eux, gardent intacte leur affection mutuelle, malgré la séparation ultime.