Mon livre surprise
Regard
Le silence presque total de la critique, quant aux dessins de Franz Kafka et à l'intérêt qu'il porte, (dans son journal), aux arts visuels, théâtre, cinéma, peinture, est à l'origine de ce travail. Sa volonté testamentaire de vouer toute son oeuvre après sa mort à la destruction, autant que les difficultés projetées sur son héritage par un vœu aussi radical, expliquent vraisemblablement que cet aspect de sa création soit demeuré dans l'ombre.
Car ils ont été publiés de manière sporadique, au gré des éditions allemandes, anglaises, américaines ou françaises, introduits dans le corps des écrits sans rapport avec eux. Cet ouvrage se donne pour propos de renouer avec les commentaires de Max Brod qui, du vivant de Kafka, conviait le public à reconnaître en son ami le double talent d'écrivain et de dessinateur et à voir un parallélisme entre ses dessins et ses récits.
Cet ouvrage rassemble et recense les dessins éparpillés comme toute l’œuvre de Kafka à la suite de la guerre, puis à la mort de Max Brod. Une grande partie d'entre eux demeure inaccessible à ce jour par la volonté des exécuteurs testamentaires. La question de leur accès pèse lourdement sur la réception qui en est faite.
Analysés, comparés, classés, ils font apparaître une étroite parenté de style avec les courants artistiques allemands, l'expressionnisme de Nolde ou Meidner, le blaue Reiter de Kandinsky, fart abstrait de Klee. En tant que dessins d'écrivain, ils ont surtout pour particularité de prendre place dans la page écrite du journal ou des cahiers, dans le corps du récit, et entretiennent un lien organique avec le texte pour l'illustrer, l'anticiper, le préparer, montrer, à la façon de la peinture chinoise, une analogie graphique entre trait d'écriture et de dessin. Si les dessins de Kafka sont à comprendre comme une activité ludique, destinée à déjouer la rigidité sociale, régressifs comme peuvent l'être les dessins d'enfant, marginaux comme le sont généralement ceux des écrivains, sortis de l'ombre et destinés à y retourner, traces d'un désir secret enfoui dans les profondeurs, comme l'avoue Kafka à Janouch, ils sont tout autant impulsés par une impatience visuelle à capter le monde des figures et des formes, à être un mil vivant dont l'exigence est de renouveler l'expression de la perception. Les annotations écrites au quotidien de son journal révèlent un critique dort, de théâtre, de cinéma qui puise dans l'esthétique visuelle de son temps, plus que dans la littérature, les signes plastiques et les moyens d'expression de ses récits.
En conséquence, son activité graphique et ses expériences visuelles infléchissent la démarche narrative de Frank Kafka et nous invitent à lire autrement ses récits.