Editorial :

Les noirs lumineux de Pierre Soulages, les histoires vécues et jouées de Sophie Calle, les peintures d'ameublement de Bertrand Lavier, le ballon carré de Fabrice Hyber, le film de Philippe Parreno sur Zinedine Zidane, les chats punks d'Alain Séchas, les chaises en lévitation de Philippe Ramette, les installations subliminales et schizophréniques de Loris Gréaud. L'art contemporain en France foisonne d'œuvres et d'artistes passionnants. Pourtant, il revient de loin et n'est pas encore vraiment arrivé. Car la scène française émerge aujourd'hui lentement du profond malaise qui l'a déprimée longtemps : son absence de reconnaissance à l'international. C'est net: les artistes français sont sous/représentés dans les collections publiques et privées à l'étranger. Leurs œuvres valent dix à trente fois moins que celles des Anglais, des Allemands et des Américains. Paris régnait sur le monde de l'art avant la Seconde Guerre mondiale; après, ce ne sera plus qu'un long effondrement au profit de New York. En 1964, Robert Rauschenberg remporte le Lion d'or de la biennale de Venise. C'est le début du culte du pop art et la fin de l'École de Paris. Au cours de cette période, la France a beaucoup perdu : la suprématie de ses maisons de vente comme l'autorité de ses critiques. Dans l'immédiat après-guerre, elle avait négligé ses artistes. Star à New York, Duchamp était un touriste à Paris. Il a fallu attendre les années Pompidou et l'ouverture de Beaubourg, la création de nombreuses galeries et celle de la Fiac, pour que le pays se lance dans un processus de redynamisation de sa scène artistique. Puis c'est la formidable dynamique des années Mitterrand, où Jack Lang dote la France d'un réseau de production et de diffusion de l'art contemporain unique au monde. Cette longue reconstruction a porté ses fruits. Écartée des palmarès de la biennale de Venise pendant des décennies, la France remporte avec Daniel Buren le Lion d'or en 1986, suivi quelques années plus tard par Fabrice Hyber, Pierre Huyghe et, l'année dernière, par Annette Messager. La création française relève aujourd'hui la tête à l'international, développe son marché intérieur et ses collectionneurs, et fourmille de talents. Une scène riche par sa pluralité d'expressions, singulière par son esprit. Ce livre s'ouvre sur une histoire de la scène artistique française des années 1960 à nos jours, racontée par des personnalités qui en ont été les acteurs. Ensuite, et surtout, Qu'est, ce que l'art contemporain en France ?dresse un panorama représentatif de la création hexagonale à travers 100 portraits d'artistes vivants de toutes générations, confiés à une trentaine de critiques qui les défendent et les suivent. Bien sûr, il a été très difficile de se limiter à 100 et beaucoup déploreront l'absence de tel ou tel. Cependant, nous avons veillé à ce que tous les courants artistiques, tous les styles et toutes les générations soient représentés. L’ouvrage, qui se clôt par l'analyse du marché de l'art en France et la côte des 100 artistes sélectionnés, constitue en tout cas le portrait le plus complet de la scène hexagonale publié à ce jour. À le feuilleter, on mesurera combien la création en France est dense et riche. À le lire, on se prendra certainement de passion pour nombre d'artistes. Fabrice Bousteau.