Mon livre surprise
La revue dessinée, n°32
Un homme qui ne marche pas ne laisse pas de traces », disait le dessinateur Georges Wolinski. Cette phrase pourrait décrire la petite révolution en cours dans la protection de l’environnement : la création d’espaces où l’être humain s’aventure peu et n’intervient quasiment plus, autrement dit le « réensauvagement ». Le terme n’a rien de commun avec celui lancé dans le débat public pour nourrir les peurs et provoquer des polémiques sécuritaires, il évoque au contraire des formes de cohabitations harmonieuses basées sur la contemplation et l’apaisement. Il désigne surtout une conception de la conservation où l’humain se fondrait parmi les autres espèces et laisserait la nature reprendre ses droits. Parfois jugée simpliste ou utopiste, cette approche, taxée par ses détracteurs de « nature sous cloche », se propage sur tous les continents. Au-delà des frictions qu’elle suscite, elle a le mérite de soustraire certains territoires aux activités destructrices et d’apporter une lueur d’espoir face au déclin du vivant. Car là où l’homme marche, parfois les traces ne s’effacent pas. Ces dernières décennies, Martiniquais et Guadeloupéens l’ont constaté à leurs dépens. Leurs sols, cultures, rivières, poissons sont devenus toxiques sous l’effet du chlordécone, un pesticide épandu par centaines de tonnes pour permettre l’exportation massive des bananes produites en monoculture. Dès 1975, des décisions auraient pu être prises pour éviter le désastre. Mais rien n’a été fait. Pire, des dérogations ont été accordées pour que ce produit continue à empoisonner les Antilles après avoir été banni de l’Hexagone. Alors des voix s’élèvent pour dénoncer le mépris des autorités. Faut-il voir dans leur inertie la volonté d’ignorer un héritage qui dérange ? La question pourrait également être posée pour les objet africains qui peuplent les allées du Quai Branly et les devantures des galeries privées. Quelle histoire viennent-ils nous raconter ?