Mon livre surprise
La fille du capitaine et autres nouvelles
Traduction par R. de Kotzebue pour "La Fille du Capitaine
et par Jean Savant pour les autres nouvelles
Avec une étude sur Pouchkine par Gilbert Sigaut
et le Discour de Dostosïevski sur Pouchkine, traduit par Michel-Rotislav Hofman;.
Illustrations originales et frontispice de Marek Rudnicki
La fille du Capitaine
La Tempête de Neige
Le Coup de Pistolet
Le Maître de Poste
Le Marchand de Cercueils
La Demoiselle paysanne
La Dame de Pique
Fragment
Doubrowski
Le Nègre de Pierre le Grand
Les Nuits d'Egypte
Kirdjali
Notes
Mon père, André Pétrovitch Grineff, après avoir servi dans sa jeunesse sous le comte Munich 1, avait quitté l'état militaire en 17.. avec le grade de premier major. Depuis ce temps, il avait constamment habité sa terre du gouvernement de Simbirsk, où il épousa Mlle Avdotia Ire, fille d'un pauvre gentilhomme du voisinage. Des neuf enfants issus de cette union, je survécus seul; tous mes frères et soeurs moururent en bas âge. J'avais été inscrit comme sergent dans le régiment Séménofski par la faveur du major de la garde, le prince B..., notre proche parent. Je fus censé être en congé jusqu'à la fin de mon éducation. Alors on nous élevait autrement qu'aujourd'hui. Dès l'âge de cinq ans je fus confié au piqueur Savéliitch, que sa sobriété avait rendu digne de devenir mon menin. Grâce à ses soins, vers l'âge de douze ans je savais lire et écrire, et pouvais apprécier avec certitude les qualités d'un lévrier de chasse. À cette époque, pour achever de m'instruire, mon père prit à gages un Français, M. Beaupré, qu'on fit venir de Moscou avec la provision annuelle de vin et d'huile de Provence. Son arrivée déplut fort à Savéliitch. «Il semble, grâce à Dieu, murmurait-il, que l'enfant était lavé, peigné et nourri. Où avait-on besoin de dépenser de l'argent et de louer un moussié, comme s'il n'y avait pas assez de domestiques dans la maison?» Beaupré, dans sa patrie, avait été coiffeur, puis soldat en Prusse, puis il était venu en Russie pour être outchitel, sans trop savoir la signification de ce mot 2. C'était un bon garçon, mais étonnamment distrait et étourdi. Il n'était pas, suivant son expression, ennemi de la bouteille, c'est-à-dire, pour parler à la russe, qu'il aimait à boire. Mais, comme on ne présentait chez nous le vin qu'à table, et encore par petits verres, et que, de plus, dans ces occasions, on passait l'outchitel, mon Beaupré s'habitua bien vite à l'eau-de-vie russe, et finit même par la préférer à tous les vins de son pays, comme bien plus stomachique. Nous devînmes de grands amis, et quoique, d'après le contrat, il se fût engagé à m'apprendre le français, l'allemand et toutes les sciences, il aima mieux apprendre de moi à babiller le russe tant bien que mal. Chacun de nous s'occupait de ses affaires; notre amitié était inaltérable, et je ne désirais pas d'autre mentor. Mais le destin nous sépara bientôt, et ce fut à la suite d'un événement que je vais raconter.