Mon livre surprise
Enfance berlinoise vers 1900
Je connaissais déjà toutes les cachettes de l'appartement, et j'y retournais comme dans une maison où l'on est sûr de tout retrouver comme autrefois. J'avais le coeur battant. Je retenais mon souffle. Ici, j'étais enfermé dans le monde de la matière. L'enfant qui se tient derrière la portière devient lui-même quelque chose de flottant et de blanc, il devient un fantôme. La table à manger derrière laquelle il s'est accroupi, il la transforme en une idole de bois, et les pieds sculptés sont les quatre piliers du temple qui l'abrite.
Derrière une porte, il est lui même porte ; il s'en revêt comme d'un lourd masque et devient le prêtre magicien qui ensorcellera tous ceux qui entrent sans se douter de rien. Il ne doit à aucun prix être découvert. Quand il fait des grimaces, on lui dit que si l'horloge sonne à ce moment-là, il restera toujours comme ça. Ce qu'il y a de vrai là-dedans, je l'ai découvert en jouant à cache-cache. Qui me découvrait pouvait me pétrifier comme une idole sous la table, faire de moi un fantôme pour toujours cousu dans les rideaux, m'enfermer à vie dans la lourde porte.
C'est pourquoi, lorsqu'on m'attrapait dans ma cachette, je chassais d'un grand cri le démon qui voulait ainsi me métamorphoser
Note de l’éditeur
Enfance berlinoise est le récit des souvenirs d'enfance de l'auteur, un livre qui ouvre des perspectives nouvelles non seulement sur les mémoires d’enfance, mais également sur la compréhension de l’apport théorique de la pensée de Benjamin.
Qu’est-ce que Enfance berlinoise vers 1900 ? Ce titre, sous lequel Benjamin prévoyait de réunir un ensemble des proses courtes rédigées à partir de ses souvenirs d’enfance, ne correspond pas à une oeuvre ayant connu une édition définitive, mais plutôt à un projet de recueil que l’auteur n’a pas réussi à voir édité.
C’est la première de ces deux versions, publiée en Allemagne seulement en 2000 en dehors des écrits réunis et jusqu’à présent inédite en français, que l’eÎllente traduction de Pierre Rusch donne maintenant à lire au public francophone.
Préface de Patricia Lavelle.
Traduit de l'allemand par Pierre Rusch.