Mon livre surprise
Comme elle respire
Il ne s'est rien passé, nous nous sommes juste déguisés." Il en est des personnages de ce roman comme des sixties décrites par John Lennon : non qu'il ne se passe rien à proprement parler, puisque le père de Melissa (dite Lissy) Jablovski s'enfuit bien du domicile conjugal un été avec une employée de banque rousse. Mais cette escapade érotique qui ne dure qu'un mois, juste de quoi rendre la mère de Lissy cramoisie de honte, va être promptement effacée des souvenirs, comme si cet été ("de débauche de vérité") 1985 n'avait jamais existé. L'intérêt de la trame narrative est alors d'opérer le rapprochement entre mère et fille : ainsi Lissy apprend-elle que ce père enfui n'est pas son père biologique ? sur les traces duquel l'entraîne bientôt sa mère? Réglant ses comptes avec la lubie de l'analyse psychanalytique, Julianna Baggott entrecroise malicieusement les destinées de plusieurs individus, à la fin des années soixante-dix, en écorchant avec un plaisir évident le mythe du rêve américain et la mode hippie qui culmina à Woodstock. On aurait tort cependant de réduire ce premier roman à la seule évocation, souvent crue et humoristique, d'un âge d'or perdu, tant le récit vise plutôt à proposer une relecture du brassage des générations. Le titre français n'explicite en rien la dénomination originale (Girl talk : une jeune femme (se) raconte), car il s'agit moins ici d'une question de respiration que d'épingler la différence entre espoir et réalité. Avant tout, donc, une histoire de femmes : de leurs peurs, leurs désirs, leur (im)puissance. Mais également une mise en abîme de l'amour, "ce moyen qu'a trouvé la vie pour nous frapper en dessous la ceinture". --Frédéric Grolleau