Fragiles serments
Grand jour pour Lady Bird : la splendide demeure qu'elle habite avec Julian, son époux effacé et soumis, s'apprête à résonner à nouveau des sons d'une famille au grand complet. John, l'amour de sa vie, l'aîné de ses trois enfants, est de retour de ce qu'on appellera vite son «voyage à l'étranger» : un séjour en maison de repos à la suite d'une violente dépression. Pour affronter cet événement, dans une existence largement dévouée à l'entretien du jardin, à des exercices rajeunissants, et à la constitution d'une garde-robe à faire pâlir les plus coquettes de la capitale, Lady Bird a compté sur la présence d'Eliza, une vieille amie de la famille que tout le monde considère comme sa confidente. Et, en effet, Eliza apporte de Londres sa tendre attention, mais peut-être, aussi, la volonté de s'affranchir enfin de son rôle d'observatrice passive. Car elle les connaît, les cadavres qui gisent dans les jolis placards de cette exquise maisonnée, et avec elle, ce sont les multiples secrets d'une famille bien sous tous rapports qui exploseront au grand jour.
Fragiles serments est un huis clos grinçant, ourdi au son des cors de chasse et de la musique de chambre, du vent qui balaie les landes irlandaises et des chuchotements des domestiques. Sous le vernis de la paisible haute société anglo-irlandaise, Molly Keane déshabille tout sur son passage : homme, femme, enfant, dans un cortège de personnages plus vrais les uns que les autres. Elle révèle avec génie les relations morbides qu'une mère toxique entretient avec ses enfants, les cruels rapports de classe d'une Irlande des années 30 encore féodale, les éternels mensonges qui polluent amours et amitiés, et sont le ferment des grands romans. Le tout servi par cette écriture rare, tantôt loufoque, tantôt caustique, mais toujours incroyablement sensible et poétique.
Molly Keane (1904-1996) est née en Irlande dans une famille où «la chasse, la pêche et l'Église étaient d'importance, mais l'éducation confiée aux gouvernantes». A priori, rien ne la destinait à autre chose qu'une tranquille vie d'aristocrate terrienne. Et surtout pas à une carrière d'écrivain. Pourtant, un sens aigu de l'observation et une extralucidité sur le spectacle des mises en scène sociales la poussent très tôt, dès 1928, à rédiger dix romans et des pièces de théâtre sous le nom de M. J. Farrell. Après un silence de trente ans, elle met bas les masques et signe enfin sous son vrai nom Good Behaviour (Les Saint-Charles), qui remporte un vif succès, puis trois autres romans. Elle s'éteint à l'âge de quatre-vingt-douze ans, acclamée par la critique internationale. Entre 1996 et 1997, La Petite Vermillon a publié Un beau mariage et Et la vague les emporta..., et en 2000, a paru L'Amour sans larmes, à Quai Voltaire.